samedi 8 mars 2014

G. Soucy : "L'angoisse du héron" (Québec)

***** "L'angoisse du héron" - 2003 (suivi de "L'angoisse du lecteur" par Alberto Manguel, 2009), Ed. Escampette, 65 p.

Sacré défi… ce petit livre de 65 pages : 57 pages pour "L’angoisse du héron" de Gaétan Soucy et 7 pages pour "L’angoisse du lecteur", la postface d’Alberto Manguel.
Au commencement, j’ai découvert une sorte de fable de La Fontaine mettant en scène un Héron et un Cabotin se défiant dans une chorégraphie dont j’ai beaucoup apprécié la description. Je croyais que l’histoire était lancée et que j’allais poursuivre avec ce livre les aventures sédentaires de ces deux olibrius dans leur asile de fous, décrites par le narrateur, en visite dans cet asile. Cela me plaisait bien. 
"Et son pied de se soulever davantage, lentement, tremblotant, jusqu’à ce que la cheville atteigne à la hauteur du genou gauche. Alors, avec une extraordinaire dignité, il redressa les épaules, le buste, le front. Il était droit comme un cierge. Ses bras longeaient ses flancs avec une irréprochable rigidité de garde-à-vous. L’Acteur était devenu le Héron." (p.20) 
"Le Héron commençait à vaciller sur sa patte. A mesure que l’ankylose gagnait le mollet, que les muscles manquaient de je ne sais quoi, que le sang congestionnait, les traits de ce dernier exprimaient une angoisse qui n’a pas de nom et qui est la catatonie même : l’angoisse corrosive, absolue, de devoir se maintenir dans une posture impossible, sous peine de provoquer un cataclysme qui fera voler le monde en éclats. " (p.22) 
"Le Cabotin était occupé à se rendre jusqu’au mur." (p.24) : ce vieux monsieur ne fait que des allers retours entre la chaise et le mur.
Mais que nenni. 
En passant au chapitre suivant, le récit nous transporte 13 ans plus tôt, quand le narrateur, Gaétan, se prépare pour l’enterrement de son ami Coco, un total loser, qui n’a jamais rien réussi, ou qui a toujours tout raté comme nous l’apprend Gaétan (de façon surprenante et peu gratifiante, ai-je trouvé, pour parler d’un ami et qui plus est d’un ami mort). La phrase-clé vint plus tard : "Coco avait passé sa vie occupé à se rendre jusqu’au mur." (p.43)
D’ailleurs, les quelques amis de Coco ou sa famille ne veulent pas se partager ses quelques dessins ou peintures affreuses.
Dans ce chapitre, deux bizarreries dans le récit m’ont frappée. L’une porte sur cette phrase, très énigmatique : "Nous faisons ensemble la queue à une quincaillerie ; je lui demande ce qu’il dissimule sous son veston ; et il porte une cravate bleue." (p.30) je me suis crue plongée dans quelque œuvre surréaliste… on dirait du Dali.
L’autre concerne « son navrant dégât » que Coco a nettoyé chez Gaétan : j’ai eu beau relire le texte, pas trouvé d’explication à ce dégât… mystère.

Ensuite, brusquement, je n’ai plus rien compris au récit. 
Voici que dans le carnet à dessins de Coco, Gaétan découvre le texte sur le Héron, soit ce que nous avons lu en premier chapitre ( !). Puis il y a l’histoire du voyage en bus et de la petite fille sans bras… Et soudain on découvre que le narrateur s’adresse à une Mademoiselle qui est la fille de feu Coco.
Personnellement, pardonnez-moi l’expression triviale, mais bien que le récit ne s’étale que sur 60 pages, j’étais complètement larguée dans l’histoire. J’ai dû relire deux fois le livre pour y voir plus clair, et mieux apprécier l’enchaînement. Et encore, cela reste brumeux… Ah, quelle entourloupe nous a fait l'auteur autour de son "Je faussement narratif" (p.64).

D’où la parfaite transition avec la postface d’Alberto Manguel, dont je réalise à présent la justesse du titre : « L’angoisse du lecteur » ! "Et même après que les rôles ont été assignés, les papiers mis en ordre, le récit mis en place, même alors l’incertitude subsiste. Une occurrence minuscule, une révélation infinitésimale avertit auteur et lecteur qu’il leur faut se méfier de l’illusion de comprendre." (pp. 62-63)
"En littérature, les choses ne sont pas racontées parce qu'elles se produisent ; elles se produisent parce qu'elles sont racontées." (p.61)

Y-a-t-il une morale dans la fable L’angoisse du Héron ?
La toute fin du récit ne se prête pas à l’optimisme… : « On n’a pas toujours ce qu’on souhaite. » (…) Car, l’enfer doit ressembler à ceci, Mademoiselle, qu’au début, tous nos désirs semblent soudain se réaliser. Le Diable peut vaquer tranquillement à autre chose. Il n’a qu’à les laisser suivre leur cours. » (p.57 : dernière phrase du récit) 

Finalement, un petit livre intéressant (je m’en souviendrai !) mais pas facile à appréhender. Je l'imagine parfaitement comme thème d'étude en littérature ou philo ; mais comme lecture divertissante, passer son chemin...
Un mot à connaître : catatonique ! 
L’écriture de Gaétan Soucy est belle. J’avais déjà bien apprécié cet auteur avec son roman (hallucinant) "La petite fille qui aimait trop les allumettes" (1998). 

J’ai appris avec tristesse qu’il était décédé d’une crise cardiaque en juillet 2013, à 55 ans. Difficile de ne pas penser à ses propos ironiques sur l’ami Coco décédé dans son livre…

--> voir mes "Lectures d'Amérique du Nord" ou les pages spécifiques "Québec"

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